De par sa forme imposante, pyramidale et rectangulaire à sa base, le fameux tombeau du roi Pomare V (1839-1891) construit à la pointe Outuai’ai de Arue, dénote bien dans le paysage.
Les murs de l’édifice sont entièrement constitués de blocs de coraux soudés entre eux par du ciment. Mais le plus surprenant, c’est que cette construction est surmontée d’une amphore, ou d’une urne.
Certains ont très vite avancé que c’était une forme d’hommage à l’alcoolisme notoire de Pomare V… s’agissait plutôt d’une bouteille d’absinthe…
Il était, en effet, de notoriété publique que le roi appréciait particulièrement l’absinthe qu’il considérait comme un nectar.
Il meurt d’ailleurs d’alcoolisme au palais royal de Papeete, le 12 juin 1891.
Mais à l’origine, ce tombeau a été érigé pour recueillir la dépouille de sa mère, sa majesté Pomare IV, reine de Tahiti.
A la mort de celle-ci, le 17 septembre 1877, son corps a effectivement été inhumé dans ce tombeau érigé à Arue.
Mais dix ans plus tard, son corps sera exhumé et placé dans le cimetière royal des Pomare qui se trouve près de l’école « Ahutoru » non loin de la maison de James Norman Hall.
A ses côtés, dans ce cimetière se trouvent également les dépouilles des rois Pomare 1er, Pomare II et Pomare III.
Quant au dernier roi Pomare V, son règne sera de courte durée.
Proclamé roi en 1877, au décès de sa mère, il abdiquait en 1880, en faisant don de Tahiti et ses dépendances à la France qui deviennent alors les établissements français d’Océanie.
En échange, il recevra du gouvernement français une pension et les titres d’officier de la légion d’honneur et du mérite agricole.
Il meurt le 12 juin 1891.
Son corps sera donc placé dans ce mausolée de la pointe Outuai’ai, mais isolé de sa famille.
Parmi la foule qui a assisté aux obsèques de Pomare V, à Papeete et l’a accompagnée jusqu’à sa dernière demeure à Arue, se trouve un dénommé… Paul Gauguin.
Dans « Noa Noa », son livre sur son premier séjour à Tahiti, il écrira sur cet épisode de l’histoire polynésienne : « Vint le jour de l’enterrement.
À dix heures du matin, on partit du palais. La troupe et les autorités, casques blancs, habits noirs, et les naturels dans leur costume attristé. Tous les districts marchaient en ordre, et le chef de chacun d’eux portait le pavillon français.
Au bourg d’Aruë, on s’arrêta.
Là se dressait un monument indescriptible, qui formait avec le décor végétal et l’atmosphère le plus pénible contraste : amas informe de pierres de corail reliées par du ciment.
Lacascade * prononça un discours, cliché connu, qu’un interprète traduisit ensuite pour l’assistance.
Puis, le pasteur protestant fit un prêche.
Enfin, Tati, frère de la reine, répondit, — et ce fut tout : on partait ; les fonctionnaires s’entassaient dans des carrioles ; cela rappelait quelque « retour de courses ».
Sur la route, à la débandade, l’indifférence des Français donnant le ton, tout ce peuple, si grave depuis plusieurs jours, recommençait à rire.
Les vahinés reprenaient le bras de leur tanés, parlaient haut, dodelinaient des fesses, tandis que leurs larges pieds nus foulaient lourdement la poussière du chemin.
Près de la rivière de la Fatüa, éparpillement général. De place en place, cachées entre les cailloux, les femmes s’accroupissaient dans l’eau, leurs jupes soulevées jusqu’à la ceinture, rafraîchissant leurs hanches et leurs jambes irritées par la marche et la chaleur.
Ainsi purifiées, elles reprenaient le chemin de Papeete, la poitrine en avant, les deux coquillages qui terminent le sein pointant sous la mousseline du corsage, avec la grâce et l’élasticité de jeunes bêtes bien portantes.
Un parfum mélangé, animal, végétal, émanait d’elles, le parfum de leur sang, et le parfum de la fleur de gardénia — tiaré — qu’elles portaient toutes dans les cheveux. »
*Théodore Lacascade a été gouverneur des Etablissements français d’Océanie de1886 à 1893